Partir, ce n’est pas voyager…

On ne peut pas en vouloir à quelqu’un d’avoir voulu sauver sa peau. Qui ne pense qu’à soi ne peut penser aux autres, mais qui ne pense pas à soi ne saurait vraiment penser aux autres. C’est déjà quelque chose de penser à sa famille, non pas comme Jésus l’entendait, la famille, mais celle formée de sa femme, son mari et ses enfants. Dans le sauve-qui-peut national, il est juste de penser à ceux dont on a la garde. Ne blâmons pas ceux qui le font, ce sont d’honnêtes gens et de courageuses personnalités.
Partir. Toutes générosités emphatiques froissées. Toute tentative échouée, toute piste perdue, toute perche brisée, tout espoir démagogique… Partir. Nous arrivons lisses et jeunes dans le monde. Et nous lui disons : à nous deux. Nous le prenons à bras le corps. Ailleurs est si bien fait. Si bien structuré. Tout est en place, mis en place pour le bonheur de la famille.

Partir…

Mais voilà des siècles que nous partons ! Le sauve-qui-peut national s’aggrave. Le plus souvent, on part pour ne plus revenir. Certains se disent qu’ils reviendront contribuer au développement de leur nation. Entre-temps, le sauve-qui-peut devient chaos. Chaque décennie, chaque année, chaque jour apporte son lot de misères, de corruption, de détérioration mais surtout chaque décennie, chaque année, chaque jour enlève un peu d’espoir, un peu de valeurs, un peu de foi en nous-mêmes. La spirale se fait de nouveaux tours, les tours font des nœuds ; il n’y a même plus d’esthétique dans cette structure. Chaos total, illogique. Le retour ? Impossible.
Voilà des siècles que nous partons pour ne plus revenir.

En voulant sauver sa peau, sauve-t-on la nation ? Et oui, malheureusement. Après le sauve-qui-peut national, viendra le déluge, est venu le déluge. Restera un témoin, une famille-témoin. Restera la famille de Noé pour la renaissance de l’Haïtien. Mais voilà l’Haïtien persiste à vivre, il perdure. L’Haïtien ne connait pas le suicide. Cette nation d’Imbéciles choisit de respirer artificiellement et se fout de l’euthanasie. Le déluge qui aura raison de sa ténacité ne viendra point, n’en déplaise aux Noé.

Voilà des siècles que nous partons, depuis le marronnage jusqu’aux boat-people, depuis nos silences complices jusqu’à nos révoltes de la faim, depuis les caravelles jusqu’aux Boeings. Partir ne nous sauve pas. Partir ne sauve pas la nation.

Partir ne nous sauve pas de l’haïtianité. Nous ne sommes pas assez riches pour être postmodernes ; pour choisir d’oublier frérots, sœurettes, cousins, cousines, taties, tonties, papi, mamie, amis et petites amies. On part avec son lot de problèmes haïtiens sous le bras. On part et on ajoute un lot en plus sur la misère, la corruption, la détérioration d’Haïti. On crée de faux espoirs. On devient modèle de réussite pour tous ceux qui ne peuvent encore partir, qui font une fixation sur là-bas, qui se font des illusions, qui deviennent Perrette ou Mme Bovary… et qui oublient d’essayer, de tenter quelque chose ici et maintenant, d’organiser la vie, de s’organiser une vie possible…  qui attendent leur tour comme jadis les filles de nos campagnes fantasmaient sur les visiteuses venues des villes et de la capitale.
On ne peut pas en vouloir à quelqu’un d’avoir voulu sauver sa peau et celle de sa famille. On peut s’en vouloir de ne pouvoir faire que ça, de devoir le faire, d’être contraint de le faire.

Partir, la solution postmoderne aux problèmes de l’Haïtien.

Wêchévains, DJAB

11 mai 2012

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