Et ce fut le carnage...
Je ne sais que dire. Le temps pourtant me fait grande
guerre. Le stand danse sous mes pieds. C’est par miracle que je reste debout. Où
est mon discours ? Où sont passés les mots bien emmitouflés dans mon
cartable ? Prendre la parole la gorge sèche, c’est vraiment une mauvaise
idée.
Il fait chaud dehors. Dans leur impatience, les étudiants n’accepteront
pas n’importe quel mot froidement lancé quand les miliciens ont déjà incendié
la faculté. Ils ne vont pas prêter attention à mon charabia quand le sang coule
à flot des veines de Patricia qu’un contre-manifestant rat pa kaka a jugé bon d’abattre parce qu’elle avait la peau trop
claire. Que leur dire avec ma peur mouillée si les mots qu’on attend doivent
sortir du four ?
Une fille applaudit. C’est surement Claudie qui m’a vu
sincèrement pleurer la mort de son jeune frère, abattu près de Tabarre, au
sortir d’une manif. Elle croit que j’ajouterai de l’huile sur le feu. Deux
autres étudiants près d’elle applaudissent à leur tour. Ils se penchent aux
oreilles de leurs voisins qui me regardent étonnés et applaudissent vivement à
leur tour. Dans quelques secondes, toute la salle applaudira et m’incombera
alors une lourde tâche : les mots doivent être de braise !
Au début, je les avais les mots. Je manipulais le premier
venu qui me disait que la lutte estudiantine ne devait pas être politique. Il m’était
facile de maintenir le feu dans les rangs de mes camarades aguerris, victimes
du pouvoir en place. J’étais fougueux, impatient de passer aux actes, d’être
au-devant de la scène, en première ligne, armé seulement de moi-même et de mes
idéaux. J’avais la foi. Je l’ai perdue.
Je l’ai perdue quand
ceux d’en face m’ont prouvé de quel bois ils se chauffaient. Calomnies, persécutions,
violences, gaz lacrymogènes, arrestations arbitraires, meurtres prémédités,
massacres commandités… Ils avaient le bras long et ne se gênaient pas pour s’en
servir. J’ai perdu la foi et ces applaudissements me clouent le bec.
Je ne dois pas décevoir. C’est à contrecœur que je m’écartèle :
-
A la mort ! criai-je.
Je n’ai pas trouvé de mots plus
chauds.
-
A la mort…
(J’ai failli ajouter : ...de la
révolution!)
Tonnerre de cris, d’applaudissements
et…
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