Attention : REZILTA !
Il est un
morceau qui semble avoir été le hit de l’été. Le titre éponyme de l’album
REZILTA de Zenglen (2013) a apparemment conquis tous les cœurs et fait vibrer
les reins dans les fêtes champêtres. Cette chanson est, comme on dit chez nous
bien tombé, puisqu’il restitue ses lettres de noblesse à l’une de nos valeurs,
dont le blason était plus que blasé ces dernières décennies : le travail. L’auteur, dans un succulent
créole (bien servi par le timbre merveilleux de la voix de Réginald Cangé, par
un arrangement et un rythme zenglen rajeunis – on ne s’apercoit même pas de
l’absence du klassique maestro
« superstar maker »), l’auteur arrive à nous démontrer combien la
voie suprême de la réussite reste et demeure la persévérance dans le
travail :
Pou mizè m pase
Pou kalfou m janbe
Wi lavi se sakrifis li mande fò m travay
E m konnen bon rezilta ap tonbe si m travay
Le succès de cette chanson est dû
également à l’utilisation d’un terme à la mode tiré d’un modèle de gestion prôné
par le gouvernement Martelly/Lamothe : la Gestion Axée sur les Résultats
(GAR). On n’a qu’à parcourir la presse du début de la présidence « tête
calée », (oh pardon en français calé ne rend pas le kale créole, le verbe chez
Voltaire marque plutôt un arrêt – quand on pense que Tèt Kale espérait décoller
ce pays, décoller en français convient
mieux à l’idée du chef suprême car dekole en créole renvoie aussi à démonter,
casser ! Mais qui sait, il voulait peut-être bien caler sa tête sur l’oreiller
et prendre son aise…) oui, nous disions donc que la presse de cette époque
fourmille d’allusions des membres du gouvernement à la Gestion Axée
sur les Résultats.
Se chak jou pou demele w pou fè yon pa
Sou wout ki pral ba ou rezilta
Le texte fournit aussi un précieux
conseil tiré assurément des leçons des auteurs qui se réclament de la pensée
positive, très à la mode depuis le 12 janvier 2010, à partir d’un slogan (à la
mode également) :
Fokis epi sonje
Pwoblèm pap janm fini s’on lwa nan lanati
Lè w rezoud youn g’on lòt ki nan wout ap vini
Bravo, Zenglen ! Encore une fois la
formule a marché, messieurs. Oui, la formule Zenglen. La satire sociale,
l’humour pince-sans-rire, la dure réalité lancée sans gants de velours contre
notre nez :
Reyalite : depi yon nonm
reyisi, onètete ou pa, ou mèt kwè wap jwenn bravo
Et voilà, je l’ai lâchée la phrase
problème. C’est l’une des rares phrases où ne figure aucun procédé rhétorique,
aucune tentative de poétisation (versification, allitération ou assonances,
métaphores…). Ô ironie ! Nous ne pouvons faire appel qu’à cette figure de
style pour comprendre ce message dans un texte aussi beau, aussi bien surtout… Beaucoup
de mes amis critiquent REZILTA qui semble prêcher le tous les moyens sont bons et valoriser les malhonnêtes, les
patripoches, les voleurs, les drug dealers, les amateurs de pots de vin, les
raquetteurs, les rapaces, les détourneurs de fonds d’ONG, les vicieux, les
sousou, les soufnantchou, les zombificateurs profiteurs, les grands mangeurs du
trésor publique, professionnels des chèques zombi, les absentéistes de la function publique, qui pullulent un peu partout dans le pays et deviennent les
nouveaux riches, ou du moins la nouvelle classe moyenne. Je crois qu’on se
méprend sur le sens de ce texte : il est satirique et ironique. Il me
semble que l’auteur cherche à valoriser l’effort
consenti pour atteindre le résultat que tout le monde guette juste pour en jouir,
en bénéficier. La dernière strophe, comme pour nous le reprocher, campe la réalité –ce que tout le monde fait– face à l’effort du travailleur solitaire –ce
dont tout le monde s’en fout.
Lè w wè yon moun fè siksè
Ou pa konn kisa l te fè
Ki tè l pile si l janbe lanfè
Ou pap janmen konnen
Dans REZILTA, toute l’attention est portée sur l’effort,
la persévérance, le travail ; comment comprendre qu’il
valoriserait simultanément le tous les
moyens sont bons ? REZILTA restitue le travail, invite les jeunes au
travail, à se détourner de la facilité, à vingt
fois sur le métier remettre son ouvrage, à persévérer, puisque de là vient
le succès. On est tellement focus sur le résultat, motivé le plus souvent par
des mobiles extérieurs à soi (la mode, les amis, l’orgueil – non pas la saine ambition,
les autres à plaire et à épater, le paraitre pour se faire accepter, les gen yon jan pou w ye, kijan w kanpe…) qu’on est prêt à tout
pour réussir et, ironie du sort – d’où la satire –, la société érige le malhonnête en modèle !!! Jadis, on le pointait
du doigt et son méfait suivait sa progéniture de génération en génération.
Prenons garde à ce à quoi on applaudit et disons encore une fois bravo à Zenglen !
Prenons garde à ce à quoi on applaudit et disons encore une fois bravo à Zenglen !
Wêchévains, DJAB
Zenglen, REZILTA, Album Rezilta, 2013
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