Que signifie-t-on pour le lecteur ?
C’est
toujours pour quelqu’un que l’on signe sa vie. Le fruit de durs labeurs, de
passions bues, de nuits blanches, de migraines et de crises de nerf, de coups
de sang et de pur bonheur… C’est une saignée un livre. On n’a pas idée de tout
ce qu’il faut à un auteur pour produire un texte. Heureusement que le livre, on
en l’écrit pas tout seul. On s’assoit sur la tête des auteurs qui nous ont
précédés, on emplit le livre de l’histoire des autres, on s’y met un peu. Mais
qui nous y voit est vraiment curieux puisque même sous le fard on grimace.
L’ombre portée ne donne pas toute la mesure de soi, elle dépend trop du point
de vue de la lumière.
Ce n’est
pas tous les jours que tu signes ta vie au creux de l’épaule ou sur les seins
de la jeune fille qui a tout lu de toi. Et qui t’aime éperdument. Qui a étudié,
récité, murmuré, questionné, boudé, tourné en ridicule tes mots. Qui a joui
avec eux dans son sommeil. Avec un livre tu l’as conquise ; à cause d’un
livre, elle est perdue.
Elle
s’avance. Cherche des yeux son auteur préféré. Elle serre ton livre vert sous
son bras gauche, coté cœur. Elle va trouver ton ami Paulémont pour lui demander
si l’auteur de Le Trou du Voyeur n’est pas parmi les écrivains en signature.
Ton ami l’envoie au stand de la Maison Henri Deschamps. Elle court rejoindre
les vendeuses. Passe indifféremment devant toi. Mme Marilyn Supplice te pointe
du doigt en souriant. C’est alors que tu découvres que tu n’es pas toi. Jamais
le fantasme n’a eu ton visage, ton corps ni ta bedaine ; jamais ces yeux
rougis par la clarté des nuits blanches n’ont illuminé les profondeurs
ténébreuses de son inconscient. Jamais l’homme qui lui racontait tes histoires
n’avait ce port vestimentaire, ce look rétro, ces mains moites et ces lèvres
minces. Jamais ce front proéminent n’a accosté le port de son cœur.
Non !
Non ! Ce n’est pas lui, mon Héros ! Ce n’est pas là mon prince
charmant !
Elle
s’avance vers toi. Indifférente tout à coup. Son visage s’assombrit. Elle
dépose son exemplaire sur la table. Elle te fixe, éperdument. Comme tombée des
nues. Tu lui signes ton livre. Elle part en sanglots. Déçue. Elle tourne les
talons comme on feuillette un livre dégoutant. Elle te tourne le dos et s’en
fut dans ses draps pleurer son désespoir.
Te voilà
perdu. Tu viens de signer ton arrêt de mort.
Wêvhévains, DJAB
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