Propos pronocés par Claude C. Pierre lors de la cérémonie officielle de lancement du Festival Les Escales de Binic
Monsieur Claudy Lebreton, Président du Conseil Général
des Côtes d’Armor
Madame Dominique Ovaldé, Présidente d’honneur du
Festival du livre, de la mer et de l’aventure Les Escales de Binic
Madame Corinne Dirmeikis, Présidente du Conseil
d’Administration des Escales
Mesdames, Messieurs, les officiels
Mesdames, Messieurs les organisateurs et bénévoles
Chers consoeurs et confrères écrivains
Gens de Binic
Bonsoir à toutes et à tous,
A l’occasion de la 5ème édition du FESTIVAL
LES ESCALES DE BINIC, le département de la Grande Anse, Haïti, se félicite d’être
le premier territoire partenaire d’honneur de cet événement en territoire
breton en France. C’est un honneur pour
moi d’avoir été choisi par mes compagnons comme porte-parole dans la cérémonie officielle
de ce soir. Cette activité s’installe résolument dans la tradition de savoir-faire et d’hospitalité
de nos hôtes des Escales de Binic, fondées depuis 2009 et dont la renommée
n’est plus à faire.
Sachant de quel sel et de quel souffle du large se
nourrit la parole d’ici, je m’arrangerai pour dire l’essentiel avec économie
tout en m’appuyant sur la parole vive de
quelques poètes.
D’ailleurs, je sais par ouï-dire, il y a un an, mon
alter ego, Jean-Claude Fignolé, avait fait vibrer le cœur de plus d’un par la
profondeur et la luxuriance de sa verve. Ainsi, je choisis volontiers d’être l’écho
de propos déjà dits revêtus toutefois du sceau de la première fois. Dans mon
laïus, ne pouvant pas comme il se doit injecter l’impétueuse sève de la
jeunesse, je demande pardon à mon jeune confrère Evains Wêche, qui, peut-être,
retrouvera en décalé, ses aspirations d’homme du XXIème siècle.
La délégation haïtienne à deux volets (écrivains et
entrepreneurs), ayant pris sa mission au
sérieux dans une ambiance de travail détendu, entend mériter de la confiance
des organisateurs d’ici à la satisfaction de la population de Binic.
La présence de cette forte délégation traduit par elle
seule la vitalité de la coopération entre les deux départements-frères, la
Grande Anse et les Côtes d’Armor. Elle est hautement justifiée du fait que la
Grande Anse, cette année 2014, est désignée première Invitée d’honneur de ce festival, qui prend, au fil des
ans, autant de prestige que de rayonnement. C’est ce qui explique tout autant
la présence d’entrepreneurs dynamiques et responsables, MM.
François Chavenet et Alcendre Léopold, représentants respectifs de la Chambre
de Commerce et d’Industrie et de la Chambre Agricole de la Grande Anse.
N’est-ce pas une preuve que la littérature en général,
et la poésie en particulier, ne sont pas incompatibles avec le pragmatisme des
hommes d’affaires. La littérature est bien affaire humaine. La littérature,
c’est la vie. Merci aux organisateurs de Binic, nos hôtes, de l’avoir si bien compris
et de l’illustrer à travers cette manifestation essentiellement culturelle des
Escales. Le Festival de Binic est donc une œuvre d’hommes et de femmes,
inscrite dans la durée. Des femmes et des hommes qui ont fait choix d’agir pour
transformer la vie.
C’est entendu, des accords de coopération existaient déjà
depuis deux ans entre les deux communautés-sœurs dans les domaines de la Santé
et de l’Agriculture. Il parait opportun aujourd’hui de souligner l’intelligence
des deux parties d’avoir saisi au bond l’occasion offerte et d’avoir montré
leur claire compréhension de l’appel pressant de l’UNESCO, qui considère la
culture comme une denrée durable tout en encourageant le rapprochement entre
les sociétés.
Au-delà des manifestations internationales dans le
monde francophone, la délégation officielle de la Grande Anse entend mettre en
évidence le devenir de deux communautés
ayant la langue française en partage. Malgré les soucis et les épreuves de
cette langue imposée, le français est devenu patrimoine riche et précieux chez
les deux protagonistes, un trésor indispensable sans toutefois congédier les
langues locales, le créole et le breton, considérés comme des mines
inépuisables, capital immense, dans la construction d’une nouvelle conscience
et de cette humanité plus féconde dont parlait Aimé Césaire.
Auteurs choisis pour l’occasion, Jean-Claude FIGNOLÉ,
Evains WÊCHE et moi-même, Claude PIERRE, espérons, à partir des
échanges avec les uns et les autres, tremper ce séjour dans une véritable
fièvre du donner et du recevoir.
Nous avons l’intention de travailler avec ardeur dans
la plus haute et la plus pure disposition de partage, tout en nous amusant.
Si la poésie
haïtienne, le roman et le récit haïtiens en général, nourris de nos proverbes,
contes, légendes et mythes, devront alimenter forcément nos causeries et nos
conversations à bâtons rompus avec les gens d’ici, d’autres questions plus
immédiates ne seront pas occultées. Autant le poète que les deux autres
écrivains de la délégation n’entendent se laisser prendre au piège de la
censure.
Nombre de lecteurs savent que si les maîtres de la
fiction font usage d’un langage à haute teneur métaphorique, c’est pour mieux
mettre en évidence leur propension à parler vrai. A charge de réciprocité, nous
serons attentifs à vos opinions et arguments ; et, en retour, nous ne
manquerons pas de vous poser des questions, non par simple curiosité, mais pour
mieux comprendre la réalité qui est vôtre, histoire de nous mettre à l’écoute
de vos préoccupations.
De retour en Grande Anse, nous nous promettons de
mieux vulgariser parmi nos compatriotes l’authenticité et l’originalité de
votre riche culture, de même les beautés et les charmes de votre coin de pays
incomparable. Nous devons également contribuer à renforcer des liens tissés
depuis des siècles, avec des haut et des bas, certes, mais des liens qui font
monter le souffle de la fraternité.
En cela, René Guy Cadou, un poète de chez vous, nous
indique le chemin :
Et qui
viendrait te chercher là
Quand tu disposes de toi-même
Secrètement pour un destin
Qui ne peut plus te laisser seul
N’appelle pas
Mais entends ce cortège innombrable de pas
Quand tu disposes de toi-même
Secrètement pour un destin
Qui ne peut plus te laisser seul
N’appelle pas
Mais entends ce cortège innombrable de pas
(René-Guy CADOU, Art poétique, in Hélène ou le Règne végétal, Seghers, 1952)
C’est là le miracle d’une parole vive consignée
dans les livres comme à la fois pont, ouverture et eau porteuse d’altérité.
Nous serons en tant que témoins privilégiés de toutes
les activités : émerveillés et ravis, mais lucides, capables d’apprécier
nos limites. La lecture, les randonnées, les dégustations, le témoignage enfin
; le vent en poupe pour toutes les aventures, ouverts à toutes les sensations, à
l’écoute des frissons de l’autre et aux appels d’une fraternité, sans grandes
démonstrations, au contraire, aux effets de haute intensité dans les moindres
petits gestes.
Nous sommes venus chez vous pour renforcer des liens
tissés dans des conditions et circonstances de domination historique, qui nous
échappent, mais avec un profond sentiment humain qui atténue toute tension et
dépasse tout rancœur. Ensemble, nous devons travailler à maintenir allumée la
flamme vivace de la différence qui nous construit.
Le grand large est notre patrie commune sans mur et
sans ligne de partage. Notre premier intérêt commun : l’homme et sa
tolérance ; sa soif de justice et son humanité. L’homme en tout lieu, sous
toutes les latitudes, artisan de la paix et de la beauté dans l’équité des genres,
des races au mépris des fortunes.
Le poète martiniquais ne l’a-t-il pas dit mieux que
nous dans son vibrant Cahier d’un
retour au pays natal ?
« …Ce qui est à moi,
ces quelques milliers de mortiférés qui tournent en rond dans la calebasse
d’une île et ce qui est à moi aussi, l’archipel arqué comme le désir inquiet de
se nier (…) Et mon île non-clôture, sa claire audace debout à l’arrière de
cette polynésie ; devant elle, la Guadeloupe fendue en deux de sa raie
dorsale ; et de même misère que nous, Haïti où la négritude se mit debout
pour la première fois et dit qu’elle croyait à son humanité (…) et l’Afrique
gigantesquement chenillant jusqu’au pied hispanique de l’Europe, sa nudité où
la Mort fauche à larges andains. »
(Aimé Césaire, Cahier d’un
retour au pays natal, Présence africaine, Poésie, 1939.)
J’ai conscience d’être un peu long; mais je ne me
pardonnerais pas si j’omettais de souligner l’engagement, la détermination et
l’enthousiasme de Mme Dominique Guilmin, Chargée de mission au sein du Conseil
Général, et qui a su donner un élan irrésistible à cette coopération, notamment
au cours de ces différentes missions en Grande Anse dans des conditions parfois
difficiles.
Encore une fois, je tiens à vous avouer que la
jeunesse grand’anselaise entend manifester de diverses manières sa
reconnaissance envers les Costamoricains. Mesdames, messieurs du Conseil
général, croyez-moi, vous avez donné à plusieurs d’entre eux le goût de vivre chez
eux et d’y bâtir un avenir. Le grand rêve des Grand’anselais, c’est de pouvoir
dans un geste, si modeste soit-il, vous exprimer leur reconnaissance et vous
manifester leur sens de la réciprocité en vous invitant, par exemple, à leur Festival
National de la Poésie en automne prochain.
La parole ne sera toujours que parole si nulle action
ne l’accompagne. C’est ce que nous apprennent avec à propos les poètes Paquin
et Pierre dans le recueil C’est un grand
arbre qui nous unit :
De quelle façon la machine
recevra-t-elle la parole
du poète saisira-t-elle trop
tard la gratuité des choses
comme tailler une cloche dans le
bronze des ogives
(Paquin
et Pierre, C’est un grand arbre qui nous
unit, vlb éditeur, 1988)
Grande Anse et Cotes d’Armor, même amour pour le
livre, même passion du grand large et de l’aventure, et même entêtement dans la
fidélité au terroir.
Claude
Clément Pierre
Côtes
d’Armor, Bretagne
28
mars 2014
Festival
du livre les Escales de Binic
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