Ton manuscrit refusé est ta chance


Cher Raynaldo Pierre-Louis


je te suis depuis quelque temps sur Facebook. Nous avons en commun l'admiration de la poésie subtile d'une égérie des jeunes poètes Haïtiens (Duckens Charitable, Fred Edson Lafortune Echo Culture, Yves Romel Toussaint, Webert N. Charles, Bobby Paul, etc.) Denise Bernhardt. Nous avons aussi beaucoup d'amis en commun. Tous peuvent confirmer avec moi que tu as du talent. Et une forte personnalité. Deux choses indispensables pour devenir un grand écrivain. 

Cependant, cela ne suffit pas pour se faire éditer. André Gide, l'un des plus beaux esprits de son temps, a quand même refusé Du côté de chez Schwan (À la recherche du temps perdu) d'un certain Marcel Proust! Ce fut le cas de nombreux monuments littéraires comme Voyage au bout de la nuit de Céline, Ulysse de James Joyce, Le Journal d'Anne Frank, Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell et même Harry Potter de J.K. Rowling! Tu n'es ni le premier, ni le dernier. 

Pour mes publications, tout s'est fait tout seul. J'ai participé à un Atelier d'écriture avec Gary Victor, qui a fait sortir deux de mes nouvelles dans Je ne savais pas que la vie serait si longue après la mort chez Mémoire d'encrier; j'ai reçu le Prix Deschamps 2013 pour Le Trou du voyeur; invité au Salon du livre de Québec, Rodney Saint-Éloi me demande de lui faire voir mon dernier texte (une nouvelle de 20 pages), qui devient plus tard mon premier roman Les Brasseurs de la ville, repris chez Philippe ReyJean-Mino Paul publie mon récit Les sept quartiers de la parole, tiré de mon recueil de nouvelles... J'ai eu beaucoup de chance et je ne m'en rend compte que maintenant: cela fait deux ans depuis que je cherche à faire éditer sans succès le livre qui me tient le plus à coeur... Il est refusé par au moins 5 grands éditeurs qui reconnaissent pourtant les qualités du texte. L'un d'eux a consacré 6 mois à travailler avec moi avant de se faire taper sur les mains par son Conseil d'Administration, qui veille à la santé financière de l'institution.

Le talent ne suffit pas. L'éditeur.trice a sa ligne. L'éditeur.trice a son catalogue. L'éditeur.tricd a son business.  Ses problèmes, aussi. Quand il.elle te publie, il.elle investit dans un projet qu'il.elle n'a pas conçu, il.elle prend des risques financiers, des risques énormes envers la postérité... Il.elle mobilise un ensemble de métiers importants autour de ta création. Des gens qu'il doit payer: graphiste, illustrateur.trice, lecteur.trice, correcteur.trice, relieur.euse, informaticien.ne, imprimeur.e, relationniste, bibliothécaire (pour l'ISBN), etc. Sans compter son personnel! Il.elle a quand même le droit de se demander si ça vaut la peine! C'est vrai que tu as mis ton âme, ton coeur, ton sang, ta sueur, tes tripes, tous tes espoirs et tout ce que tu veux dans ces quelques pages mais c'est lui.elle qui va dépenser son argent pour en faire un livre. Les éditeur.trice.s engagé.e.s, souvent les meilleur.e.s (c'est un métier de passionné.e.s), ne sont pas malheureusement les plus riches du secteur parce qu'ils sont des passeur.euse.s de talents. La plupart du temps, il.elle.s ont porté au créneau un.e écrivain.e, qui les laissera tomber pour le premier contrat juteux avec une grande maison, qui lui prendra et son auteur.e et l'enfant qu'ils ont conçu ensemble, le livre. 

Tout ceci pour te dire, cher ami, qu'un.e auteur.e commence à devenir un.e écrivain.e après avoir refermé son manuscrit mille fois refusé pour commencer son prochain livre. Si tu aimes ce métier, tu dois te réjouir de ce refus de C3 Éditions, c'est l'opportunité d'écrire un autre livre, ton chef-d'oeuvre peut-être... que tu n'aurais jamais écrit si tu n'avais pas été refusé... J'ai perdu un ami talentueux et courageux, qui s'est vu refuser le Prix Deschamps au moins sept fois, à chaque fois son talent avait attiré l'attention du jury mais il lui manquait... rien. Il n'a jamais reçu le Prix, c'est tout. Ton texte n'a pas été retenu. C'est tout. Et ce n'est pas une affaire de clans, de méchanceté, de haine des jeunes poètes, de barrage ni de querelles des anciens et des modernes, c'est une affaire de littérature. Point. 

Ton ami, 

Evains Wêche 


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