J'ai tué un gangster
On venait
de terminer le 2e Module du programme postgradué en Management et
Gestion des Services de Santé de l’Université d’Etat d’Haïti. C’est plus de 90
heures de cours en classe en huit jours, sans compter les exercices en groupe
ou individuel. Je voulais exorciser le stress de ces deux semaines en me payant
du bon temps. Rentré chez moi à Carrefour, je pris un bain, dinai et allai
rejoindre mes amis à la Bibliothèque Justin Lhérisson (BJL). Mon ami Gilbert et
moi restâmes longtemps à discuter de poésie, de peinture, de travaux du bois.
Il me raconta de menus potins sur nos amis communs que nous commentions tout en
nous régalant de vin rouge. La nuit tomba. Nous voulûmes des dominicaines. Ce
ne sont pas des cigarettes, dans ce cas j’aurais dit des américaines ou des
cubaines ; celles-là, on les fume. Les dominicaines sont des femmes
terribles qui vous envoient au paradis en moins de deux, selon Gilbert. Je ne
l’ai encore jamais fait avec une dominicaine. Gilbert me décrit une créature de
rêve qu’il a fréquenté sur le boulevard Jean-Jacques Dessalines, à l’Hôtel Bel
Amour. Il aurait donné sa vie pour cette magicienne du corps. Le vin nous monta
à la tête. Les fantasmes aussi. Je me vis sauter une nana d’enfer, la caresser
jusqu’à ce qu’elle me supplie, en tremblant d’orgasme, de ne plus la toucher.
Je me vis acteur de porno cette nuit-là. Etalon. Nous décidâmes de nous trouver des putes
dominicaines et de faire la fête la nuit entière.
Contrairement
à ce que disent les vidéos à la CNN, la vie de nuit est une réalité à Carrefour.
Mais il faut savoir où aller. Nous traversâmes tout Mon Repos sans rencontrer
un chien. Il n’y avait pas d’électricité. À Cote-Plage, nous trouvâmes un
taxi-moto qui accepta de nous déposer sur le fameux Grand-rue de Port-au-Prince.
La moto tomba en panne à Fontamara. Nous décidâmes de continuer à pied et
profiter de la solitude et de la fraicheur de la nuit au bord de la mer. Un peu avant le marché aux poissons, l’emplacement du Marché public de Fontamara, un mec nous aborda. Il nous demanda ma bague de marié et nos téléphones portables si nous voulions poursuivre tranquillement notre route. Gilbert se fâcha et l’invectiva. Il lui dit de venir les chercher s’il avait encore les deux boules que son père lui a données là où on sait. Encouragé par la réaction de Gilbert, je m’emportai. J’injuriai notre agresseur. Surpris au début de ma réaction, je pris peu à peu gout à l’affaire. Comme deux commères qui s’en prennent à une rivale, nous lui criâmes des mots sales et entrâmes profondément dans sa maman ainsi que toute la gente féminine de son ascendance ! Il se fâcha et tira son arme. Un pistolet .45 semi-automatique Smith & Wesson des années 90 sans chargeur ! Nous explosâmes en un rire canaille et le conseilla de s’en aller s’il voulait continuer à respirer. Indigné, j’avançai carrément sur lui et le saisi par le collet. Il ne s’y attendait pas ! Je le bousculai et lui demandai s’il comptait vraiment nous tuer pour une bague de dix mille gourdes.
Nous lui tournâmes
le dos en injuriant toutes les couilles molles aux cervelles liquides de son
espèce qui font fuir les professionnels de ce pays. Le laissant pantois sur la
chaussée, nous continuâmes notre chemin.
J’étais
heureux de m’avoir ainsi exprimé, cela valait mieux qu’une éjaculation. Je
venais d’extirper de moi toute ma rancœur contre mon pays ; contre les
gouvernements que j’ai connus, qui n’ont rien fait pour sortir ce pays de la
merde ; contre les spécialistes qui prétendent avoir remède à tout et qui
s’emmêlent dans leurs concepts quand il s’agit d’Haïti ; contre mes
parents qui m’ont donné naissance dans ce bourbier ; contre les habitants
de Carrefour que je déteste et que j’adore à la fois. J’avais crié sur ce jeune
voleur mais pas pour lui faire du mal ou le blesser, je n’avais rien contre lui
–il cherche seulement à gagner sa vie, il s’y prend mal seulement, j’avais crié
sur ce voleur mais c’est moi que je visais.
Entre
Martissant et Fontamara, nous fumes attirés par la musique bachata qui annonce les dominicaines. Je m’abandonnai dans les bras
de la première femme poudrée, parfumée, muse toucouleur, qui m’étaient offerts. À travers cette dominicaine, j’aimai Haïti.
Wêchévains, DJAB
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