Les enfants d’abord
Je viens de tomber sur deux dessins d’enfants. L’un
d’eux réalisé avec des couleurs vives fait penser à une toile ou un graffiti de
Basquiat. On y voit un poste de police, un hôpital, une petite église, un
gigantesque marché, une monstrueuse pile de fatras avec l’inscription :
« gade mouch », des petits bonshommes ici et là en train de se tirer
dessus, un inquiétant bateau... Voilà la représentation de l’imaginaire d’un
enfant de Port-au-Prince. Je cite la capitale parce qu’ailleurs en Haïti cela
peut être différent.
Wêchévains,
DJAB
Si je demande au petit Messi de Jérémie de me faire un
dessin, il va penser à toute une série de choses exotiques par rapport à cette
représentation dont je vous parle. On verra surement une grosse église rouge,
une statue mulâtresse, des flamboyants, la mer, des oiseaux, le ciel, le soleil,
des motos, des tas de taximan-motos qui viennent manger chez Madan Dodo… Son
dessin ressemblerait à des milliers de dessins d’enfants de petite ville de
province tranquille ou de petite bourgade oubliée sur la carte d’Haïti. Un
dessin d’enfant de son âge.
À quoi rêvent nos enfants ?
Si j’en crois nos
conversations, mon fils de 4 ans pense à
ses jouets (il adore sa bécane et son robot), à ses mamans (il appelle ainsi
toutes les femmes qui lui témoignent un certain intérêt), ses grands-parents, son
frère Christ-Ryan, la mer et la piscine
où je l’emmène quelquefois. Son école ? Pas tant que cela. Il préfère la
compagnie des gens de la maison et surtout celle de ma petite amie. Complexe
d’Œdipe en cours ou c’est moi qui suis jaloux ?
Ti-Ollivier (le fameux Ti affectueux mais si réducteur), Ti-Ollivier des rues de Jérémie,
qui vient vous quémander un adoquin (ce qui n’existait pas encore en 2007) sous
la galerie de Kay Toto, au sortir de la Unibank ou au Carrefour Wharf, me
regarde avec malice et me dit rêver de partir pour Port-au-Prince rejoindre sa
mère. Il rêve des belles voitures de la télé, il veut devenir 50 Cent, Izolan
ou J Perry tout au moins ; il connait déjà les chansons de Baky, il me
chante Level : « Baky di yo
n POPILÈ ! », crie-t-il. Il me dit qu’il préfère la version Remix,
qui est vraiment un petit bijou de rythmes, de bons vers, de voix extraordinaires
(featuring Wendy et P-Jay), qu’il arrive à interpréter tout seul !
Les enfants rêvent de ce qu’ils ont à leur portée. Ils
sont peut-être plus réalistes que nous. Ils rêvent de ce que nous leur donnons
à voir ou de ce que nous leur offrons. Nous rêvons de ce que nous n’avons
pas : de Miami, de New-York, de la Porsche Cayenne, de vacances à Hawaii,
de Rihanna dans nos lits… Non pas pour faire
l’effort de nous les offrir mais pour nous détester de ne pas être né dans
le bon pays, dans la bonne famille, dans le bon quartier. Les enfants ne vont
pas jusque là. D’ailleurs quand ils ont besoin de quelque chose, d’un jouet
qu’ils ont vu quelque part, ils ne se gênent pas pour l’exiger de leurs parents
ou même des passants, comme Ti-Ollivier qui quémande un adoquin pour s’offrir
un plat chaud ou un peu de colle.
Et demain...
Que donnons-nous à voir à nos enfants ? Qu’est-ce
que nous leur offrons ? L’inévitable slogan timoun jodi, granmoun demen me nargue. Les enfants sont les
citoyens de demain. Quelle fatalité ! Quels rêves vendons-nous à nos
enfants ? Tout ce qu’ils pensent et ressentent aujourd’hui crée leur
avenir. Je n’irai pas jusqu’à demander quelle sera l’Haïti de demain à partir
des enfants que nous formons aujourd’hui. Je n’irai pas jusqu’à dire que nous
sommes responsables de ce que sera ce pays, cette génération et celle qui
vient. Je n’ai ni la compétence ni la documentation qu’il faut pour asseoir ces
hypothèses. J’irais trop loin. Je fourrerais mon nez dans ce qui n’est
peut-être pas mon assiette, la famille des autres…
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