Procès-verbal du temps qu’il fait

            On ne parle plus de poésie engagée, cela prête à trop de sous-entendus (engager=embrigader) et de coups-bas. Les ismes et les révolutions –rêves solutions– nous ont désenchantés. On ne chante plus La Dessalinienne, ni La Marseillaise, nous avons peur du fond de bruits de canon et de cris désespérés qui les remixent. Il est pourtant un texte qui nous engage.

Recueil de poèmes (ac)couplés par Denise Bernhardt et Duccha (Charitable Duckens), L’Amour du monde nous engage à voir le monde, et son envers, et son endroit. On connaît les clichés : poètes au chevet du monde, radiographie ou diagnostic du monde, poètes à l’écoute des bruits du monde… tout cela vaut pour nos deux acolytes, qui ont déjà publié La vie en marelle (Prix Pensieri in versi,  Académie Il Convivo, Italie) en 2006, chez RivaritiCollection. Métaphore de deux continents (elle, l’expérimentée Europe, « ravagée mais pleine de charmes » ; lui, l’Amérique du Sud, jeune, fougueuse), leur collaboration présente une image géopolitiquement incorrecte pour le statu quo. Ce n’est plus le cliché du Grand Nord industriel et paternaliste (encore un isme !) qui tend la main au Sud sous-développé ; au-dessus des barbelés de ce monde cloisonné (Ah ! naître du bon côté ! Quel est le bon côté ?), nos deux poètes prennent langue pour dire notre douleur, nos désespoirs, notre dérive…

Le monde va mal. Et il n’est pas carré du tout pour se le dire. Denise et Duccha n’ont pas froid aux yeux. C’est avec colère, rage et réalisme qu’il nous donne à voir notre plaie. Et là où le bât blesse n’est pas beau à voir. Maggy de Coster, dans sa préface, énumère quelques unes de ces plaies qui gangrènent de part en part ce monde de survivants : « chars transfrontaliers, rivières de sang, manipulations génétiques, journalistes muselés, exclusion. » Mais on comprend bien que c’est tout le système, ici et là-bas, qui explose.

L’Amour du monde est un long cri lancé par deux individus dont le cœur est déchiré par l’horrible spectacle ! Denise n’en peut plus, dès le premier texte, elle nous présente un monde à en mourir de peines :

Ce monde de mouchards et de mouchoirs

Ce monde-là, je vous laisse

De Sans Abri, de SDF, de Mal Lotis, de Mal Logés

De Mal en Peine,

De Mal en Pis,

De Chômeurs, d’Assistés

De mendiants dont on ne sait plus les noms

(Les fenêtres closes s’oxydent)

 

Duccha n’en peut plus. Contre ce monde en mal macaque, il s’enferme dans sa poésie, la part non polluée du verbe.

Le Monde va mal. Il n’est pas comme on veut nous le faire accroire. Il n’est pas géométrique avec ses quatre points cardinaux disjoints. Il n’est pas ce qu’on voit à la télé. Nous avons érigé le pire des mondes possibles.

Alors, que faire ? Nul ne sait exactement par où pratiquer la saignée salutaire. Nos poètes cherchent le la du monde dans les rêves, dans le fonds de leurs verres, dans leur poésie. Plumes en mains, ils sarclent les cœurs. Ainsi, L’Amour du monde est porteur d’espoir :

Sans doute (…)

Il y aura des fruits, du pain, du lait mousseux

Des soleils blancs, le cri de l’aube

Des forêts denses pour la danse

(Pour un monde plus aimable)

On croit encore que l’engagement tue la poésie. Encore une fois, L’Amour du monde échappe à ce cliché. Nos poètes ont su créer un univers chaotique envoutant. L’on se laisse prendre au jeu des mots et la sincérité des cœurs nous émeut. Une certaine mystique semble nous gagner et à cause de la certitude des fruits, nous nous mettons à rêver de la fin des assassins d’ici, de la mort des loups de là-bas pour en finir avec ce pauvre monde.


Évains WÊCHE, DJAB

Denise BERNHARDT et DUCCHA, L’Amour du monde, Le Vert Galant Éditeur, 2010.

 

 

Commentaires

Articles les plus consultés