Les Treize de Jeune Haïti

Un très beau texte de M. Maurice Léonce pour commémorer le 51e anniversaire de la mort des Treize Héros martyrs du groupe Jeune Haïti, insurgés contre la dictature de François Duvalier.

Dédié à la jeunesse de ma ville natale, Jérémie,
tout en souhaitant qu’elle devienne plus consciente de ses responsabilités
et de ses convictions citoyennes.


Déjà cinquante et une années écoulées depuis qu’ils sont morts les « Treize de Jeune-Haïti », fiers, beaux et courageux patriotes, ne laissant dans bien des cœurs blessés et attristés que leur souvenir hissé au mât de la bravoure et de l’altruisme. Personne… personne ne pouvait prévoir leur triste destinée, leur douloureuse et sanglante défaite qui devait les immortaliser en les présentant à la face du monde comme des « Héros martyrs ». Ils rêvaient seulement d’agrafer leur sacrifice consenti à un pan du bicolore comme preuve évidente de leur dévouement, en embrassant sans peur et sans faiblesse cette juste cause qu’il réclamait être la leur : celle de libérer le pays haïtien du joug de la tyrannie, de la délation et de la corruption.

Bien avant d’entreprendre cette irrévocable aventure, ils étaient au nombre de « Deux cents cinquante » décidés à donner leur vie, leur courage, leur amour pour la délivrance de la Patrie commune. Mais hélas ! Au grand jour du départ, à l’appel, ils n’étaient que treize. Une lâcheté crapuleuse et honteuse, un parjure avilissant la parole donnée. Treize, chiffre fatidique, qui plaçait déjà en berne leur fanion endeuillé au poteau mitan de leur destin ! Notre profond respect pour eux doit demeurer jusqu’au dernier jour de notre vie. À peine débarqués, la trahison des principaux leaders les vendait aux enchères duvaliéristes et les envoyait inévitablement à une mort certaine.

Nous les connaissons, ces pleutres sans vergogne, ces vendeurs inféodés crapuleusement au carnaval dantesque d’un gouvernement sanguinaire, revanchard et rétrograde. Moi, j’étais dans un pays lointain, asphyxié par l’odeur nauséabonde dégagée par ces vendeurs de pays à la solde des espions gouvernementaux, ces délateurs toujours à l’affut des causes mauvaises et répugnantes. L’âme chagrine, la conscience troublée ; et commença pour moi un douloureux exil indigné, qui finirait quand grand Dieu ?

Après trois mois de luttes incessantes, braves jusqu’à la témérité, les Treize furent vaincus sous le poids du nombre et des armes. Deux parmi eux, blessés et faits prisonniers : Marcel Numa, 21 ans et Louis Drouin, 31 ans, furent fusillés le 12 novembre 1964 au mur du cimetière de la capitale, cette capitale déjà ensanglantée par les crimes odieux, injustifiés de l’armée abêtie, mystifiée, avilie, démaillée et des macoutes incultes, veules et sanguinaires. Mais, sans aucune faiblesse, sans aucune génuflexion, braves, téméraires et sublimes, défiant la lâcheté et la soumission avec la morgue méprisante de ceux qui portent en eux le courage tout en regardant bien fièrement, bien stoïquement dans les yeux leurs bourreaux ignorants et cupides, donnant la preuve tangible que même au-devant de la mort ils représentaient toujours le bicolore car l’un était couleur d’ébène et l’autre clair. Comme le souligne l’écrivain Bernard Diederich « Ils sont allés au combat en vue d'un objectif précis, portés par leur foi en l'avènement d'une nouvelle société dans leur patrie. »

Et le jour s’en allait triste et monotone, à l’arrivée du crépuscule, laissant dans bien de cœurs patriotes l’amertume, le chagrin, l’abattement et la désolation. Mais, ce sang versé et répandu pour une si belle, juste et grande cause, ce sang vigoureux servira un jour d’engrais vivifiant aux nouveaux arbres musiciens dans le grand verger de la solidarité et de la renaissance haïtienne pour une nouvelle floraison de l’espoir et de la survie de la Nation de nos cœurs : Haïti, une et indivisible dans l’Union qui fait la force. Que le salut du peuple soit la loi suprême ! (Cicéron)
« Potius mori quam foedari » Plutôt mourir que se déshonorer.

Patriotiquement
Fraternellement et surtout
Jérémiennement

Maurice Léonce
Jérémie, ce 10 septembre 2015
Jour anniversaire de ma naissance
Agé de 94 ans

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