Je m'ennuie, etc.

L’ennui... C’est peut-être, au fond, l’insatisfaction de notre âme intime, à laquelle nous n’avons pas donné de croyance, l’affliction de l’enfant triste que nous sommes, intimement. (Fernando Pessoa)

Le charme d’un dimanche après-midi sans fin tient justement dans cette légèreté tendue entre un week-end trop rempli (soleil, mer, verres, baises, dragues, etc.), ou pas assez, et l’aube d’une semaine de travail qui ne s’annonce pas rose du tout. J’ai toujours redouté ces quelques heures trop longues qui se dilatent entre le déjeuner et le sommeil. Le dimanche c’est le jour consacré à l’ennui. Cela va de soi. Mais quand ce même sentiment te saisit au cœur d’un travail passionnant, ou en compagnie de tes amis les plus rigolos, ou dans les bras de la femme que tu aimes, ou encore dans les meilleures pages d’une nouvelles de Borges ou dans Les Trois Mousquetaires, c’est un signe que l’absurde du monde t’emmerde.

Je m’ennuie. Le pire, je m’ennuie de moi. C’est vif, très aigu. Quitte à passer pour un fou, l’envie me prend de faire quelque chose de moi mais rien ne m’inspire. Je perds l’enthousiasme, l’élan vital. Je suis dans une parenthèse alibidineuse qui n’a rien d’une « temporalité vide » plutôt proche d’une « temporalité insensée », un désir de rien ou mieux un désir de tout. Je soupire alors après l’extrême. Je cherche une porte en moi par où sortir du monde. C’est le point où l’on se demande si on ne rêve pas, si on n’est pas le personnage d’un rêve d’un fou condamné dans son Paradis, si on n’est pas soi-même ce fou furieux qui s’use à courir après son ombre déformée contre les parois du monde…  « L’ennui permet de vagabonder en soi » souligne quelque part Jacques Attali. L’envie me prend de me mordre, de me fracasser le crâne, de jouir soudain, de me jeter nu dans la neige, de me couper une veine, d’avoir un accident, de rire haut, de pleurer des cordes, de vomir des cris, de me vider de moi, bref de faire quelque chose avec ou contre moi pour me sentir vivant ici et maintenant.

L’ennui, ce n’est pas le dégout de tout, le découragement, le cafard, encore moins la mélancolie. Et surtout ça n’a rien à voir avec le désœuvrement. L’ennui, c’est ce sentiment positif qui nous incite à créer un nouveau monde puisque celui-là ne nous va plus. L’ennui est la mère de toute création. Donc, de toute révolution. Être ennuyé au point où le monde nous emmerde! Je ne m’imagine pas l’immense ennui qui a dû affecter Socrate, Léonard de Vinci, Fidel Castro, Homère, Rembrandt, Van Gogh, Dany Laferrière, Marx, Beethoven, George Sand, Flaubert, Etzer Vilaire, Proust, Tolstoï, Kant, Marie Vieux, Carl Brouard ou Dessalines! Plus on est envahi par cette langueur monotone, qui grise la vie et confond les désirs, plus on entreprend d’improbables projets. En somme, des folies. Comprendre ici la folie comme un ennui insurmonté. Parce qu’il faut que la réalisation du projet transcendantal nous permette de revenir régénérés au monde. Comme neufs. En proie à un plus terrible ennui… Je ne sais plus quel écrivain confond ennui et souffrance. C’est très intéressant. Le sens premier du terme « ennui » était tourment au XIIe siècle. Je m’ennuie, donc je suis: j’éprouve pour le monde une lente inquiétude…

Ceux qui veulent garder le pouvoir et les monopoles nous offrent maintes distractions pour nous relaxer. J’en appelle à l’ennui! Ennuyons-nous! Prenons le temps de nous laisser envahir par ce désir d’un monde meilleur pour le créer.

#PetroCaribeChallenge