Partir ou souffrir?

Partir, est-ce le seul modèle de réussite qui nous reste? Partir ou souffrir? Je viens d'avoir une conversation avec un ami qui m'aime bien. Ma fille s'est endormie sur ma poitrine. Elle voulait savoir quand est-ce que la maison va s'arrêter de trembler? Pourquoi on reste dehors? Sur le gazon de l'institution qui nous accueille depuis hier pour la nuit, il y a ma petite tribu. Kacim, Chloé, Yann Mattis, Marie Hervée, ma belle-maman et des nièces et neveux. Une bonne douzaine. Tout le monde dort. Il fait bon. Mille petits bruits tamisent le silence. Les nuages gris qui nous menaçaient sont partis. Cela aurait pu être une belle aventure, une nuit en plein air, dans les bras de mère nature, etc. etc. Mais ça n'est pas le cas. On est en pleine catastrophe. Encore. Mon ami qui m'aime bien me dit: "Merde! Qu'est-ce que tu fous ici? T'es vraiment un malade pour rester ici. Que feras-tu lors de la nouvelle catastrophe?" Et je pense à mes enfants... Dans ces conditions, un père qui pense à ses enfants n'est pas beau à voir. 

Je me suis entêté à habiter ici. Je voulais participer au renouveau d'Haïti. Mais comment faire ce pays? Je me suis demandé ce qu'ils avaient, les pays qui avancent, que nous n'avons pas. Ou mieux ce qu'ils n'avaient pas et que nous avions pas. J'ai découvert une chose surprenante. Eh bien, ils n'ont pas nos politiciens. C'est tout. Notre malheur? Ce n'est pas la Terre qui tremble, ce n'est pas le réchauffement climatique, ce n'est ni la famine, ni le choléra, ni la série des ouragans, et surtout ni Dieu, ses saints et ses anges, ni le vodou et ses loas. Notre malheur, c'est nos politiciens. On ne cherche des boucs émissaires, on ne cherche pas à indexer un parti, un groupe, ni un homme, mais le Japon et le Chili qui ont des séismes à longueur de journée, La Floride et Saint-Domingue qui subissent les mêmes ouragans que nous, comment font-ils? Je sais que c'est trop facile de pointer du doigt nos politiciens fous à lier, aveuglés par le mirage du pouvoir mais soyons francs: a-t-on aujourd'hui un leader rassembleur qui prêche la stabilité indispensable au développement?

Qu'il soit de droite ou de gauche, républicain ou démocrate, libéral ou national, le leader politique haïtien veut sincèrement le bien de son pays mais ça doit passer par lui; c'est lui qui a la clé du bien-être national. Lui seul peut déveloper le pays, et développer le pays pour lui passe par les juteux contrats que lui seul pourra bien négocier pour nous, le trésor public que lui seul saura investir dans les vrais chantiers, l'administration publique où lui seul pourra nommer the right man in the right place, les biens publics que lui seul saura respecter, etc. Si c'est pas lui qui a le pouvoir, le pays va mal. Et, en bon Patriote et Envoyé spécial pour sauver la Nation, il mettra tout en branle pour déstabiliser l'équipe de corrompus en face et la jeter. 

Nous faisons cela depuis 1804. Nous sommes des experts. Mais quand donc que tout cela va s'arrêter mesdames, messieurs, pour nous permettre enfin de vivre dans notre pays comme des humains? Si je le pouvais je vous aurais donné le pouvoir. Oui, à vous tous. Chaque trois mois on ferait un dechoukay. Ça nous prendrait une demi-génération mais on aurait la paix après. On pourrait réfléchir sur les tremblements de Terre, sur le réchauffement climatique, sur la famine, les épidémies, les ouragans. On est tellement occupés à souffrir de vos luttes pour le pouvoir qu'il ne nous reste que Dieu, les saints et les anges, le vodou et les loas. Et pour ceux qui n'y trouvent pas leurs comptes, il y a l'exil. La dictature exilait les opposants et tentaient d'amadouer les jeunes, vous exilez la jeunesse et tentez d'amadouer tous ceux qui nous veulent du mal. Soyons sérieux messieurs, mesdames, à quand la stabilité politique? J'en ai marre jusque au cou, vous voyez! 

Mon ami qui m'aime bien me regarde et secoue sa tête. Il a les yeux rougis. Il me regarde avec compassion. Il a compris mon entêtement. Nous regardons ensemble la petite tribu sur le gazon. Leur souffle qui monte de la terre. "Un jour, ils te le reprocheront". Je ne sais pas trop quoi lui dire. Il a vu juste. Alors il entre doucement en moi et j'entends sa prière dans ma tête: "Seigneur, fais un miracle pour Haïti. Fais donc que nos politiciens comprennent..."

Evains Wêche 

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