Les Hopitaux dans une bouteille

3e Colloque Ary Bordes 
L’hôpital public dans le système de soins en Haïti :
Défis, Enjeux et stratégies pour améliorer de sa performance.
29 et 30 octobre 2013, Hotel Karibe.

 Il va sans dire que la présentation du Dr Georges Beauvoir (Les médecins spécialistes dans les hôpitaux périphériques : victimes ou héros ?) a été la plus appréciée parmi les 11 interventions de la première journée du 3e Colloque Ary Bordes sur les hôpitaux publics. Je ne dis pas que c’était la meilleure. Très émotif et émouvant, le célèbre orthopédiste, président et membre fondateur de la Société Haïtienne d’orthopédie et de traumatologie (Shot), a démontré à travers une étude de terrain que les jeunes spécialistes fraichement sortis de l’hôpital universitaire désirait aller bosser en province et que leur absence dans les hôpitaux périphériques était surtout due à un manque d’appréciation de leur apport, de leur statut et de leur valeur intrinsèque. Le MSPP n’a pas la capacité physique d’attirer des spécialistes ayant un Bac + 10 ou un Bac + 12 !

J’ai vécu la situation que décrit le Dr Beauvoir. Entre 2005 et 2008, je fus l’unique chirurgien-dentiste public du département de la Grand’Anse. N’était-ce mon amour de cette communauté et ma conviction profonde que le développement du pays doit passer par les provinces, je me serais déjà volatilisé comme plus d’un de mes confrères l’ont fait. D’ailleurs, à la Fac, l’un des professeurs nous disait clairement qu’il n’y avait aucune structure pour nous dans ce pays et qu’il serait préférable de passer le fameux matching américain qui ouvre toutes les portes…
Le médecin spécialiste en province est un héros. J’envoie des fleurs au Dr Joseph Saliba obstétricien-gynécologue de la Grand’Anse, exemple typique de spécialiste attaché à une communauté, qui aux yeux de tous ne présente aucun intérêt. Le Dr Saliba, originaire des Cayes, s’est naturalisé jérémicien, pour parler à la Jean-Claude Fignolé. 

Chef du département d’orthopédie de la Faculté de Médecine de l’université d’Etat d’Haïti (FMP/UEH), le Dr Beauvoir s’est penché sur un sujet crucial pour nos hôpitaux, délaissés par le MSPP, envahis par la coopération cubaine. Il plaide pour un contrat de travail aux spécialistes. Il demande des mécanismes incitatifs. Il veut une meilleure prise en charge des ressources humaines. Il propose l’acquisition d’infrastructures pour un environnement ergonomique adéquat. Il a même touché l’épineux problème de développement des ressources à travers la formation continue. Il a pratiquement tout dit puisqu’il s’est intéressé aux difficultés d’élever correctement des enfants, de trouver des loisirs et de s’investir dans d’autres activités sociales, commerciales ou professionnelles dans les villes de provinces. Mais il a trop vite glissé sur la question de la culture. À Jérémie, les jeunes vous diront que nul n’est prophète dans son pays.
La I-TECH recrutait des spécialistes pour l’Hôpital Saint-Antoine de Jérémie. Aucun des natifs de la région ne voulait venir travailler dans leur ville malgré le salaire, qui triplait celui du Dr Saliba, et les avantages sociaux (une semaine de congé par mois, logement, transport Port-au-Prince vers Jérémie, valorisation, etc.) Ceux qui ont accepté de venir ne pouvaient tout simplement pas rester : ils avaient leurs cliniques à Port-au-Prince, leurs familles, leurs business en dehors de leur profession… Donc, malgré ses plages, sa verdoyante nature, son charme particulier, son hospitalité, ses bonnes écoles, ses structures plus ou moins adéquats (deux HCR « éléphant blanc » flambants neufs, un HD en réhabilitation), ses bibliothèques, ses équipements informatiques branchés à internet et son « terrain économique vierge », la Grand’Anse n’attire pas les spécialistes. C’est un fait.

Le Dr Beauvoir, comme l’a si bien souligné le Dr Malebranche, n’a pas un mécanisme d’évaluation des propos recueillis lors de son étude de terrain. La plupart des jeunes spécialistes vous diront qu’ils seraient intéressés si, si, et si. Avec des si on mettrait les hôpitaux dans une bouteille. « Oui, mais… » n’est malheureusement pas une réponse de gens motivés. L’idéologie dominante au sein de l’université est que le pays n’a pas besoin de nous, allons voir ailleurs. On reviendra peut-être… comme professionnels expatriés.

Wêchévains
Prix Littéraire Henri Deschamps 2013
 

 

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