Lettre ouverte au Premier Ministre

© Valerie Baeriswyl/GEO

Et les pauvres nègres, dont les pères sont en Afrique, n’auront-ils donc rien ?
Dessalines

Monsieur le Premier Ministre,

Je salue votre enthousiasme et vos efforts pour améliorer la situation infrahumaine des milliers de familles haïtiennes. Vous dirigez un gouvernement qui garantit la liberté d’expression, la liberté d’entreprise et qui espère donner une réponse claire aux victimes du séisme du 12 janvier 2010. Ce qui mérite toute notre considération.

Dans les colonnes de Le Nouvelliste* et dans presque tous les médias du pays, votre décision d’interdire le commerce du charbon de bois dans la Grand’Anse a été vivement accueillie. Cette mesure est une réponse au constat que vous avez fait** de la situation de l’environnement de ce département où le déboisement n’a encore détruit ni la beauté ni l’agriculture ni les quelques rues bétonnées des villes principales. Mais pour combien de temps encore?

Si lors du lancement de la mesure, quelques camions transportant du charbon venant de la Grand’Anse ont été inquiétés, si la loi est une mesure de régulation garantissant l’harmonie entre les citoyens, si votre courage s’est, pour une fois à ma connaissance, montré à la hauteur des difficultés nationales, il demeure que cette décision salvatrice pour le département de la Grand’Anse a été longuement critiquée sur les réseaux sociaux, dans les salles de classe, entre amis, dans les bibliothèques, les bus, les camionnettes, etc. Les jeunes de la communauté grand’anselaise estiment que les conditions ne sont pas réunies pour la mise en oeuvre de cette ordonnance.

D'après eux, il faudrait, entre autres, des agents forestiers, une police ou un corps de police spécial tout le long de la route reliant Jérémie et les Cayes, surtout dans des villes comme Roseaux, Chardonnette, Corail, Beaumont, Moulines, Pestel, Duchity et sur la frontière limitant les départements du Sud et de la Grand’Anse. Ce qui créerait des emplois pour les milliers de jeunes désœuvrés de ces villes, pour ceux et celles qui sont obligés de venir grossir les rangs des prolétaires (sens romain) dans les bidonvilles crasseux de Port-au-Prince.

Il faudrait surtout des mesures d’accompagnement pour les paysans autoproclamés charbonniers, qui sont oubliés de l’administration publique et des élus, totalement à la merci des ONGs ou du premier venu étranger désirant acheter la flore, la faune, le patrimoine national ; ces paysans seuls, qui s’efforcent de survivre dans les bois au jour le jour, et pour qui la coupe des arbres est une source de revenu importante quand la terre ne "donne" pas suffisamment pour subvenir aux besoins de base de la famille, souvent nombreuse, et financer les études universitaires bidon à Port-au-Prince, qui leur coutent la peau des fesses, afin d’éviter leur vie dégradante à leur progéniture.

Monsieur le Premier Ministre, 

l’interdiction d’exporter du charbon de bois de la Grand’Anse est une mesure courageuse, bienvenue et surtout importante pour le département. Certains ne le voient pas encore comme une résolution d'importance nationale. M. Robenson Alphonse* semble déplorer la situation des marchandes d'arlequin, qui devront augmenter le prix du plat de riz afin de se procurer un sac de charbon rendu tête nègre par l'interdiction. Il est vrai que la pression augmentera sur les familles urbaines. De même pour les familles paysannes, qui préfèrent mourir que de revendiquer leurs droits et d’enfreindre la loi pour éviter le plus possible d’être « en affaire » avec l’État ; les familles de jeunes professionnels libres, désoeuvrés ; les familles de jeunes fonctionnaires publics, oubliés par le gouvernement, ou celles de jeunes entrepreneurs, dont les revenus n’arrivent même pas à couvrir les taxes et les impôts, voire à acheter des cuisinières à gaz, des bonbonnes de propane et la batterie de cuisine qui vient avec. 

Il faudra alors une politique de subvention du gaz propane, de la cuisinière... Quelqu'un a même proposé de remplacer le d'argent et de nourriture importée dans le cadre de certains petits programmes bidons de la présidence par un don de four à gaz deux foyers ou d'une bonbonne à remettre aux mamans chéries. C'est pas idiot du tout.

Quoiqu'il en soit, Monsieur le Premier Ministre, nous voulons entériner cette mesure, pour une fois qu’un gouvernement pense concrètement aux problèmes de l’environnement ! Lors de mon dernier voyage sur Jérémie, cela m’a peiné de constater que des camions chargés de sacs de charbon continuent de descendre les montagnes de Beaumont en route vers Port-au-Prince. Les exploiteurs continuent d’opérer. Votre décision est malheureusement perçue comme une mesure populiste tels le Ti-Manman Cheri, la cantine populaire, le programme Ede Pèp et même le PSUGO. Ce serait bien dommage à l’heure des élections…

Espérant que votre clairvoyance sera au niveau de votre courage et que vous saisirez cette opportunité pour ajouter une médaille de plus aux modestes victoires que le peuple a gagné durant votre administration, je vous fais part de mes sentiments patriotiques les plus sincères et vous prie d’agréer,  Monsieur le Premier Ministre, l’expression de ma haute considération.

Evains WÊCHE,
Écrivain.

*http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/131459/Lamothe-le-baton-sans-la-carotte.html 
**http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/128917/Lamothe-met-Jeremie-sous-les-feux-des-projecteurs.html


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