Les couleurs du texte

Si vous aimez ce que je mets sur la page blanche, vous apprécierez ce que je fais sous le drap blanc. Le hic, il faut que le drap soit blanc. Cela tient de l’ « angoisse de la page blanche », syndrome inventé par je ne sais quel crétin. Pourquoi les pages doivent être toujours blanches ? Pendant qu’on y est, ma page est rose, comme celle de Philippe Bouvard.

Qu’est-ce qu’un écrivain peut faire d’une page noire ? Il lui faudrait une plume blanche alors; on en fabrique très peu, ou pas du tout ; disons de l’encre blanche... comme du lait –t’as déjà vu de l’encre blanche, toi ? Sur une page noire, l’écrivain ne verrait plus ses ratures –t’as déjà vu une faute blanche ? La page noire absorbe toutes les taches. Selon que cet écrivain soit noir ou blanc, les jugements de cour le feront puissant ou misérable pour paraphraser Jean de La Fontaine, dans la fable Les animaux malades de la peste.

Pour se faire l’amour, les draps, ont peut les changer si on veut, ce n’est pas une affaire d’Etat ! Blancs ou noirs, ils feront l'affaire. Mais les couleurs de votre littérature, il faut les choisir avec soin. Un pot de peinture, qui vous tombe sur la tête, vous salit; vous n’avez qu’à prendre une douche et vous changer. Si un livre vous tombe sur la tête, il laissera quand même une tache. Une tache indélébile. Il n’y aura pas d'eau pour vous laver: les écritures restent. Le ridicule jeté à propos a une grande puissance (Montesquieu).

Des taches de rousseur sont souvent bienvenues mais on préfère avoir ses envies sur la cuisse ou mieux sur le cuir chevelu plutôt que sur le visage. Imagine une envie de viande de porc avec des poils... sur la joue. Là encore, on aura l’angoisse du drap blanc car il faudra quand même un jour se mettre tout nu devant son partenaire sexuel. Le regard de l’autre alors qui découvre votre tache sur des fesses qu’il croyait pures…

Ce que j’aime avec l’angoisse, c’est que c'est passager. Une fois que l’écrivain ait trouvé son incipit, ça démarre. S’il était connecté quelque part pour tirer son énergie comme son ordinateur, il finirait son livre d’une traite.  En Haïti, ce serait impossible puisqu’il doit aller au boulot. L’écrivain n’est pas un professionnel ici, c’est un militant, un être engagé dans une cause. Écrire, ce n’est pas un métier, c’est une responsabilité, un acte de citoyenneté. Cela dit, quand l'écrivain écrit, il est différent que quand il travaille. Bon, pour les valeurs, on ne sait pas trop s’il est toujours ce qu’il parait dans ses livres, mais quand il travaille il pense à subvenir aux besoins de sa femme et de ses enfants comme tout ouvrier, tout fonctionnaire ou tout commerçant (grossiste ou détaillant)  et quand il écrit il pense à une famille nettement plus élargie, la nation ; alors, là il oublie les couleurs de sa page ou de sa plume sinon il perd la gageure.

Après l’angoisse du lit blanc, deux corps qui se font l’amour sont immaculés. Immaculés contraception, bien sûr, parce qu’il ne faut surtout pas rajouter des petites misères toutes nues au monde. Quelles soient noires ou blanches.

Surtout ne pas dire ces petites misères. Surtout se mettre à la page. Se caser tranquille.

Evains Wêche

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