Exploitation politique de cadavres

La formule n’est pas nouvelle. Elle est même une tradition républicaine si l’on croit l’illustre Léon Daudet commentant, dans ses Souvenirs littéraires, l’idée saugrenue d’exposer le corps de Victor Hugo sous l’Arc de Triomphe à Paris. On se souvient des larmes (sincères ?) du président René Préval lorsque les cendres de l’agronome et journaliste Jean Dominique, assassiné par on sait qui, étaient répandues dans le fleuve Artibonite. On se souvient du débarquement des ONG et du pullulement des projets « humanitaires » après la disparition de près de 300,000 personnes sous les décombres le 12 janvier 2010. On n’oubliera jamais l’exécution de Marcel Numa et de Louis Drouin Jr du groupe Jeune Haïti afin de donner une douche froide aux citoyens engagés dans la lutte armée contre la dictature sous le régime de Papa Doc…

Je pourrais rappeler des milliers de cadavres, illustres ou pas, qui ont été exploités politiquement soit par une opposition en mal d’idées et de propositions soit par un gouvernement pris entre une population aux revendications sociales occultées trop longtemps durant son mandat et les exigences de ses patrons de Washington !

Je salue le geste du gouvernement Micky–K-Plim, un tandem assez expert en communication, en faveur des victimes de l’accident survenu sur le char de Barikad Crew au carnaval national. Un bilan officiel reste un bilan officiel, on ne va pas revenir là-dessus (16, 18 ou 44 victimes décédées ne changeront pas la donne pour un gouvernement aussi occupé à garder le pouvoir) ; même quand il a été piétiné et insulté par nos voisins dominicains, un drapeau national sur son cercueil reste une reconnaissance officielle de valeur ; les quelques millions de gourdes, qui iront aux familles des victimes (souhaitons-le vivement !), sont quand même quelque chose…

Un mot pour un mort

Digression : un fils de la patrie lynché en terre étrangère par des racistes et des criminels surexcités mérite notre attention. Mais il semble que les dominicains ont toujours eu le droit de nous humilier comme bon leur semble sous prétexte que notre président Boyer, deuxième chef d’État de la République d’Haïti, soit allé transformer les écoles et les universités chez eux en casernes ! Comme si des Haïtiens victorieux tels que Jean-Pierre Boyer n’ont pas les mêmes droits que les Américains victorieux ou belligérants comme Theodore Roosevelt, George Bush et Franklin D. Roosevelt ayant leur base à Guantanamo ou pillant les musées irakiens comme ils l’ont fait de nos houmforts durant la campagne rejete au début des années 40. Laissons le cadavre de Harry Jean-Claude pourrir en paix, il est inexploitable politiquement –je voudrais revenir à l’époque du massacre « perejil » de Trujillo pour comparer les deux situations. En attendant, fermons la parenthèse, revenons aux victimes de l’accident au carnaval : l’aubaine !

De la mise en scène

Le metteur en scène Konpè Plim a réussi son spectacle. Plusieurs internautes parlent de sacrifice du gouvernement en place pour justement rester… en place ! J’ai lu en pouffant de rire, mais gravement hein !, les posts d’un soit-disant frère maçon qui explique comment il est parvenu à cette conclusion. D’autres chrétiens vont jusqu’au blasphème (quel sens donner à ce mot aujourd’hui ?) des esprits tutélaires du vaudou, nos loas, qui, Baron Samedi en tête, auraient pris part à la marche en blanc ! Konpè Plim savait pertinemment que tout ceci ferait l’objet de cela. C’est tant mieux, cela occupera les esprits. Esprits du peuple occupés, donc temps mort politique. Indispensable pour oublier la baisse du prix de l’essence, les étudiants de la Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire, le Cercle Gramsci, les syndicalistes, les descendants de Dessalines, les parlementaires, les revendications sociales des plus vulnérables de plus en plus vulnérables malgré les petits programmes présidentiels tels que Ti-Manman cheri, PSUGO et autres Ede Pèp ! 

Temps mort indispensable pour inaugurer le Marriott de la Digicel, entre autres. Suivez mon regard... Franchement : Bravo PM KP !