je te hais plus longtemps qu’aimer ne peut te suffire

Autant vous le dire d’entrée de jeu, il y a des vers que je trouve merveilleux dans ces poèmes : le soleil aura raison des miracles volés au jour, par contre, n’en déplaise au poète, on ne saura aimer tout ce qu’il fait.

Autant vous le dire tout de suite, j'aime la manière de mon ami Coutechève, jeune homme généreux ; j'aime son envie de vie, sa bouche qui s’acharne à dire le non-sens de sa folie d’amour pour cette terre d’Haïti ! J’ai rencontré l’homme avant sa poésie tout encore revêtue de l’aura des Rimbaud, des Philoctète, des Dépestre, des surréalistes et compagnie.

Je tiens à vous dire, avant d’aller plus loin, que son texte Déesse de la première vague dérangera les patriotes blasés, les « manifestateurs » invétérés car on y proclame l’aversion de la foule, la bête humaine. Ici, on a affaire à une individualité complexe ; rien n’est sûr, rien n’est ni tout à fait blanc ni tout à fait noir. Tout est perplexité.

Faisons-nous grâce de la sémantique, de la syntaxique et d’autres trucs d’analyse littéraire de nos chers linguistes. Boudons un peu la critique formelle devenue classique ; passons aux sens.

Déesse de la première vague du jour foisonne comme une forêt, comme un cœur de petit garçon qui découvre la nudité de sa mère, la béance par où elle suinte. Naïveté envolée, le poète se ressaisit et scrute nos plaies, fissures, brisures, blessures, échancrures. En quête de nos douleurs originelles, il découvre notre solitude, notre ample solitude, notre absence au cœur brillant du Bon Dieu Bon.

Dans Déesse de la première vague du jour, l’amour se conjugue au passé composé et pour sonner le glas de l’espoir, le poète attend une peste blanche des promesses  tout en appelant au miracle pour l’exorcisme du malheur fluide, pour l’avènement du jour où nos pieds nous diront de quelle mer choyer l'avenir.

Poète de paradoxes, Coutechève revendique l’ambiguïté de sa position, la fragilité de son profond amour de plainte et de vives secousses sinusoïdales en butte à l’indicible mal-être de sa terre. Il nous livre ici un oxymoron qui témoigne de notre obscur rapport avec le pays haïtien.

té amour, puisqu’on en parle, le poète nous rappelle Lucrèce in De natura rerum :

l’amour est une blessure pastel
et le cœur une femme de bonne augure
ici  seul le soleil est à partager

mais, si le maître latin épicurien, à la suite de Démocrite, propose l’ataraxie face aux passions, Coutechève (se) questionne et accuse la peur, ce poison zombifiant qui seule a malheureusement droit de veto.

Quand donc viendra le temps où nous nous aimerons d'amours crues ? Quand nous vaincrons la peur. Décidément.

Wêchévains, DJAB

Coutechève Lavoie Aupont, Déesse de la première vague, suivi de Partances, Ed. Ruptures, 2013.


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