Corail : enfer ou paradis ?


Notre petite caravane de poètes reprend la route un peu perplexe. On lui a promis l’enfer entre Pestel et Corail. C’est quand même quelque chose, l’enfer. Mais au lieu d’une route en feu où des nids de poule sont des gueules de petits diables, le regard inquiet de nos hôtes s’est cassé la gueule contre la beauté des paysages. Les superbes vues panoramiques sur la mer étalée, le jeu de marelle formé par les ilots resserrés dans des rubans de sables fin, la montagne de roches roses ou violettes… L’invite à l’aventure est irrésistible.

Claude Pierre est aux anges ! Il retrouve son enfance qu’il espère nous offrir sur un plateau d’argent. Bien sûr il y a une belle église à Corail, bien sûr la ville parait propre, mais bien sûr les langoustines et le poisson du restaurant Chez Dodo sont un régal ! Néanmoins, la misère est bien palpable à Corail. Claude Pierre est au bord des larmes d'émotion, d'abord, puis d'exaspération. Quand donc ses frères de Corail se réveilleront ? Il n'attend que le cri retentissant du lambi local, qui, Godot, tarde à venir...

Corail, je l’ai connue très tard. J’y vais quand même depuis dix ans. Mis à part l’hôpital que la coopération cubaine a réhabilité, rien a changé ! Les maisons se détériorent, le port est pratiquement vide, la situation économique est encore plus précaire, l’oisiveté use le courage des jeunes qui sont restés et décourage ceux qui sont partis, et surtout la politique occupe tous les esprits, détournant les regards des merveilleuses citations de célèbres écrivains gravées un peu partout, tel ce vers de Charles Baudelaire :

Homme libre, toujours tu chériras la mer (L'homme et la mer, Les Fleurs du Mal)

Claude Pierre a tenu à faire un petit pèlerinage à la rivière Lacombe sur laquelle on essaie de jeter un pont menant vers les vastes plantations de riz Tonton Ben, exploitées par le fermier Serge Picard. Nous traversâmes Roche Miel tant bien que mal. Fond’Icaque s’ouvre à moi comme une madeleine de Proust… Carrefour-Charles fut juste un croisement comme son nom l’indique mais Roseaux nous soulagea : enfin la route bétonnée. Comptez les ponts, je cite les rivières : Roseaux ! Voldrogue ! Guinaudée ! Stop ! Non, stop n’est pas une rivière ! Ça n’allait pas aussi vite quand même. Entre Roseaux et Voldrogue, il y a la Plaine des Gommiers dont les petites maisons et les cocotiers forment un paysage imprenable face à la mer. La rivière Guinaudée donne son nom à la localité, où naquit en 1762 le célèbre général français Thomas Alexandre Dumas, fils de l’esclave Césette Dumas et du colon Alexandre Antoine Davy de la Pailleterie. La dernière rivière, et non la moindre, est emblématique de la Cité des Poètes ; c’est le deuxième cours d’eau d’Haïti en termes de débit ; elle donne son nom au département ; elle porte le plus beau pont du pays. Et je nomme la verte, la belle, la profonde Grand’Anse ! 

Oops ! On vient de rater une splendide vue de la ville de Jérémie sur le Morne Château !


Donc, qu’en est-il de l’enfer ?

Evains Wêche

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