4e édition Festival National de la Poésie : De la poésie à la musique

Une vingtaine d’écrivains de la littérature haïtienne ont foulé le sol de la Cité des Poètes du 11 au 14 septembre 2014 dans le cadre de la 4e édition du Festival National de la Poésie. Deux artistes bretons Paul Dirmeikis (poète, compositeur, chanteur, peintre) et Mérédith Le Dez (poète, éditrice) sont venus cette année rehausser l’éclat de l’évènement. Paul Dirmeikis, Wooly Saint-Louis et ses amis ont tracé un sentier sous les pas des sœurs Érato et Euterpe.

11 septembre 

Au lancement du festival au Complexe Administratif, sis à l’Avenue Emile Roumer, le MC Yvon Janvier, lui-même poète et nouvelliste, a eu l’intelligence d’inviter l’assistance à garder quelques minutes de silence en mémoire des victimes de l’effondrement des deux tours du World Trade Center le 11 septembre 2001 et des victimes du terrible accident d’un autobus  assurant le transport Chambellan – Port-au-Prince  faisant 24 morts et une quarantaine de blessés survenu le 9 septembre dernier au Morne Tapion.

Après le défilé des orateurs, dont un Maurice Léonce, à fleur de l’âge, Guy-Marie Louis se dit heureux d’accueillir « le monstre sacré de la poésie en Haïti », Georges Castera Fils, comme invité d’honneur de cette 4e édition. Au nom du Centre Culturel Jean Brierre, à travers Paul Dirmeikis et Mérédith Le Dez, il honore également le Conseil Général des Cotes d’Armor qui a accueilli en mars dernier les écrivains grand’anselais Jean-Claude Fignolé,  Claude Pierre, Evains Wêche et les hommes d’affaires François Chavenet et Alcendre Léopold au festival littéraire Les Escales de Binic. Le poète Josaphat-Robert Large est aussi honoré pour la qualité de son œuvre et son dévouement auprès des jeunes de la Grand’Anse.

Wooly Saint-Louis Jean, avec sa guitare en bandoulière, chante quelques poèmes de Georges Castera Fils, de Claude Clément Pierre, de Syto Cavé, d’Émile Roumer, etc. ; il en profite pour rendre un vibrant hommage à Gary Augustin dont la mort a été annoncée quelques jours avant le lancement du festival. Mérédith Le Dez, James Noël, Jeudinema et plusieurs jeunes poètes de la Grand’Anse ont dit ou lu leur texte pour le bonheur du public. René Saint-Louis, également poète, a interprété du Claude Barzotti pour dire à Mme La Bretagne combien souvent on pense à elle. Et Paul Dirmeikis, de sa voix faisant écho au « rire innombrable » de la mer, a définitivement jeté l’ancre du paquebot des poètes bretons dans le port de Jérémie. Le ton du festival était donné.

12 septembre

Programme riche et varié. En matinee, la poésie assiège les écoles de Jérémie. Mérédith Le Dez est sous le charme de la petite Naphtaline Lundy, élève de 3e du Lycée de Jeunes Filles, à qui elle dédiera plus tard sa conférence sur l’Édition dans la Bretagne. Mérès Wêche, Manno Ejèn, Josaphat-Robert Large ramènent des textes créés par des jeunes écoliers de différentes institutions au cours d’ateliers d’écriture organisés le jour même, ce sera le contenu du second volume de la collection Rekòt powetik des éditions Ruptures. D’un autre côté Jeudinéma et James Noël se plaignent du niveau catastrophique de l’enseignement des jeunes. S’ils n’ont pas toujours réagi comme s’y attendaient certains auteurs qui croient au mythe d’une Jérémie habitée par 100,000 poètes, les écoliers ont fait montre de curiosité et de réceptivité.

Au Centre Culturel Carl Edward Peters, l’exposition des derniers travaux du peintre Rénold Laurent, également poète, a duré une heure. Les accords de guitare et les mots ont volé la vedette aux couleurs vives qui animent cette nouvelle série de toiles contrastant avec les recherches picturales en noir et blanc sur lesquelles travaillait le peintre ces dernières années. En effet, Communication Plus qui accompagne toujours le festival a réalisé une exposition de livres, permettant aux festivaliers de se ravitailler en attendant la grande Foire Internationale du Livre d’Haïti (FILHA) de la Direction Nationale du Livre (DNL).

Dans la conférence sur l’Édition en Bretagne qui a suivi, Mérédith Le Dez, détentrice d’une Maitrise de Lettres Modernes et un Master Professionnel Edition, a présenté une sélection d’éditeurs de la Bretagne, qui en comptent plus de 260, dont une cinquantaine d’auto-éditeurs. Elle a choisi de nous parler de leur militantisme, de la qualité de leur travail, du plaisir qu’éprouvent certains à faire encore des livres en linotype malgré les nouvelles technologies de l’imprimerie, mais aussi de leurs déboires face aux gros éditeurs de Paris, qui souvent les considèrent mal dans le milieu. La crise économique a également frappé le secteur du livre et beaucoup de petits éditeurs ont du réduire leurs activités pour survivre ; d’autres sont obligés de fermer leur porte. C’est le cas de MLD, la maison créée par Mérédith Le Dez elle-même.

En soirée, le clou du festival : le concert d’interprétations de poèmes chantés, donné par Paul Dirmeikis et Wooly Saint-Louis Jean au Foyer Culturel. Paul Dirmeikis est un auteur-compositeur-interprète membre de l’Union des Compositeurs Lituaniens et de l’Association des Écrivains Bretons. Il se produit sur scène depuis 1978. Il a mis en musique et chante essentiellement des poètes tels Tristan Corbière, Victor Segalen, Max Jacob, René Guy-Cadou, Eugène Guillevic, Per-Jakez Hélias, ainsi que ses propres textes et ceux du poète haïtien Claude Clément Pierre. Intime du compositeur allemand, feu Karlheinz Stockhausen, il a créé plusieurs compositions musicales, dont  Lamento pour huit violoncelles (1992), Karma pour quatuor et cordes et musique électronique, Velnias – Le Diable (2008), Aster (2010), Imperatoriéné – L’Impératrice (2011), etc. De 1984 à nos jours, il a produit huit disques : Loup rouge (1984), Message laissé à Pondichéry le 18 novembre 1973 (1988), 17 Métacompositions (2002), entre parenthèses – 31 poèmes de René Guy Cadou (2008). Par ses accords qui suspendent  le vol du temps et qui font trembler les sentiments, par sa voix vent et ses silences marées basses, Paul Dirmeikis émeut, enchante et caresse l’assistance tombée en pâmoison.

Notre Wooly Saint-Louis Jean se passe de présentation. Celui qui mit carrément la poésie dans les rues, bien avant la parution de son premier disque de poèmes chantés (Quand la parole se fait chanson, 2005) a créé une ambiance d’enfer au Foyer Culturel. L’assistance en redemandait encore et encore ! Son interprétation de Dous pou dous de Claude Pierre, ainsi que celle de Lanmè Pòtoprens de Georges Castera, ont été vivement appréciées. Le public jérémien a aussi découvert le jeune virtuose Caleb François, dont les solos comme des vrilles harmoniques s’enroulent autour de l’esprit et du cœur. Wooly et Caleb ont eu un tel succès que la délégation bretonne charmée et l’AMAGA satisfaite les invitent l’année prochaine en Bretagne pour un festival de musique. Comment ne pas penser à ce commentaire de Denise Bernhardt sur Wooly Saint-Louis Jean : « Ici, les mots ont fait l'amour avec la musique et du ventre chaud des guitares ont jailli les chansons avec des bruits de sources, des murmures de fontaines, puis elles sont allées chercher la voix dans l'ombre pourpre des poitrines. »

13 septembre

Nos amis les bretons prennent racine à l’Alliance Française de Jérémie pour une conférence hors pair. Présentation de dix poètes. 5 femmes et 5 hommes. Mérédith diseuse, Paul chanteur. Les poèmes bretons choisis, non pas en fonction de leur réputation comme ceux d’un Eugène Guillevic, ou ceux d’un Max Jacob mais en tenant compte de la qualité du travail, critère indispensable à nos chers invités. L’on découvre Georges Perros, Angèle Vannier, Per-Jakez Hélias…

Le vent en poupe, les poètes invités partent en excursion à la plage Bonbon. Georges Castera Fils est aux anges, il fait corps avec la mer et se laisse prendre en photo dans les vagues. Jeudinéma et Wêchévains se rappellent leur enfance en tapant dans un ballon. Claude Carré, Claude Pierre, Manno Ejèn, Pierre Josué Agénor Cadet, Wooly Saint Louis Jean, qui n’ont pas eu leur eau de coco, sirotent une bière en se racontant des blagues. Guyton Dorimain taquine les uns et provoque les autres pour le grand bonheur de tous.

C’est déjà l’heure du dîner, avant la conférence de Mérès Wêche sur Le Général Dumas a la salle multimedia du Centre Numa-Drouin et le concert final sur la Place d’Armes, Les Trois Dumas. En passant, on a vraiment bien mangé et bien dormi durant tout le festival : le Konparèt à La Coquille Restaurant est inoubliable ; le poisson à Auberg’Inn, le tonm-tonm de Le Sara Hôtel et le gâteau au Bek’s Restaurant étaient des délices. Revenonsà nos moutons.

Mérès Wêche est peintre, critique d’art, romancier, poète, biographe… Ce natif de Beaumont est devenu un expert des trois Dumas, dont le général français Thomas Alexandre, né sur l’habitation Madère, à Latibolière, d’une esclave Cesette Dumas et d’un colon le marquis de la Pailleterie. Avec sa conférence sur la vie du plus grand général de Napoléon Bonaparte, géniteur des écrivains Alexandre Dumas, Mérès Wêche entendait rendre hommage à Cesette, la mère du général, morte de dysenterie dans la solitude. Les interactions avec le public vont l’aider à parfaire son projet de Musée Alexandre Dumas, en passe de devenir Musée Césette Dumas…


  1. Au concert final, on tombe sur une artiste accomplie. Slouse Jean-Baptiste est une merveille de la musique. Son interprétation de Panama m tonbe a fait chanter une Annaïse Chavenet, qui pourtant en a vu d’autres. Loving you d’Alicia Keys est devenu Loving you de Slouse Jean-Baptiste. Scats, vocalises, trémolos, tout y est passé ! Des aigus aux graves, Slouse maitrise tout. Plusieurs participants voient en elle la réincarnation haïtienne de l’anglaise Amy Winehouse, moins le look.

14 septembre

Le lendemain, sur la place Dumas, des curieux jérémiens ont visité le stand de Communications Plus et, chose étonnante, plusieurs titres ont trouvé preneurs. Après une séance de photos, où l’on a beaucoup ri, les poètes ont repris la route le cœur chagriné parce qu’on avait réellement l’illusion que ces quelques jours dans la Cité des Poètes seraient éternels !



Evains Wêche

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