Lyonel avant que j’oublie...


Te lire : plaisir toujours.  Critique ne suis mais je voudrais parler du murmure de ta plume. Ton écriture chuchotante, saccadée comme la voix de quelqu’un qui a –justement– peur d’oublier ou qui fait ses bagages pour le dernier voyage en se disant. Hâtant le pas contre la montre.

J’aime le désordre apparent créé pour m’appâter, le mystère qui enveloppe les personnages de tes romans que l’on voit drôles, cyniques, maussades, bizarres au début mais qui deviennent peu à peu sympathiques, compréhensibles, tendres, humains une fois qu’on découvre leurs réalités. Avec toi, on comprend bien que la folie n’est qu’une autre façon de voir. Et l’on se questionne, l’on devient perplexe face à ses propres convictions. Ton texte travaille le lecteur. L’on peut ne pas aimer tel ou tel personnage mais on le comprend et on se demande si, à sa place, on ne commettrait pas sa folie. C’est sûr que dans le vif de la déception, j’aurais pu étrangler ou essayer d’étrangler ma femme, comme l’Historien, si elle aurait dénoncé mon double James Pierre (Montedvars), ou Duckens Charitable, mon autre.

J’aime ton sens  de la maxime, ton don de la formule frappante qui fait tache d’huile sur la page. Vérité ? Dans le (con)texte, oui. Toujours. Ailleurs, autre part que dans le roman, est-il toujours vain de parler de ce qui nous manque ? La rencontre, est-ce vraiment le seul roman qui vaille? Mais il est incontestable que la terre des hommes est la seule qui vaille ; que le silence est parfois la chose la plus horrible au monde ; que même écrire est dangereux…

J’aime tes rêveurs, tes pro-socialistes. L’Étudiant de Bicentenaire, Jacques de L’Amour avant que j’oublie, ou l’Écrivain. Ils ont une conviction, se battent pour. Mais je déteste ton réalisme (pessimiste ?) Si tu rêvais un peu plus et me racontais l’Étudiant triomphant ou Jacques vainqueur de ses bourreaux ? Tu parlais de l’impossible dit des hommes de bonne volonté pour Roger Dorsainville. Avec toi, il faut les pleurer d’avance. Des larmes anticipées. Quand donc notre littérature se défera-t-il des Manuel ? Et si les bons triomphaient un jour ? Impossible ? Alors, mens-moi, s’il te plait. Sois-moi Raoul, grand-père…

J’aime tes divagations. Les voix qui crient dans le récit et qui se débattent contre la toute-puissance de l’écrivain-créateur pour devenir elles-mêmes, comme si elles pressentaient qu’elles seules savent et peuvent se dire réellement. Tu divagues sans jamais t’oublier bien que le récit semble être indépendant de ta volonté, bien que les choses se passent toutes seules.

Ton souci du détail tient parfois de la manie. Voir l’énumération des choses que Corazón a entrainées dans sa chute (Les enfants des héros), la difficulté qu’a Thérèse à coordonner ses gestes droits et gauches (Thérèse en mille morceaux), le récit de ceux que pose Raoul avant de débobiner ses mensonges bienvenus (L’amour avant que j’oublie). Il va sans dire que les Robbe-Grillet, Butor, Sarraute et acolytes sont passés par là, si ce n’est avant eux un certain Proust. J’aime bien. Le détail fait poésie.

Ton récit non-linéaire, en trompe l’œil. Ton rendu du détail. Ton écriture saccadée. Tes divagations-digressions. Les voix de ton récit, qui passe d’âme à âme. Tes clins d’œil aux vérités des autres auteurs que tu cites… C’est surement ce réalisme baroque qui me relie à toi.

L’Amour avant que j’oublie. Je suis très heureux de ne pas y lire trop de scènes folkloriques, au contraire Raoul semble nier certaines croyances tout à fait haïtiennes. Je n’aime pas trop les amateurs d’exotisme. Cela me contrarie dans le réalisme merveilleux de Jacques Soleil où je trouve un côté carte postale. Comme si pour faire haïtien, on a besoin de se faire vaudou ou de revendiquer des superstitions idiotes qui parfois nous aliènent. Toi, tu as compris. Il n’y a que la beauté ( ?) qui soit éternelle ; alors, comme a dit l’autre, « fardons-nous pour mourir ». D’où ton baroquisme. Mais soyons nous-mêmes sous le fard. D’où ton réalisme. C’est ainsi que l’on t’aime. Quand tu dénonces beauté.

Mais L’Amour avant que j’oublie, ne serait-il pas une dissertation sur le couple impossible ? Point n’est besoin de justifier, cela saute entre les lignes. Ce n’est pas Jacques qui veut recréer l’amour, c’est toi qui proposes une nouvelle façon d’aimer. La vraie, peut-être. À chacun sa vérité. Tu donnes même des percées déconcertantes sur le mariage. En fait, pourquoi ne pas pouvoir se marier à plusieurs puisque jamais on n’aimera une seule personne ? CHOISIR, voilà le problème en l’amour à l’occident chrétien, voilà où le bât blesse. On a fait de l’Amour une violence sur soi-même. Une castration. Il est devenu contraire à la vie. Inhumain. Dire que ce devait être la plus belle chose au monde. On dit que Dieu est amour. Il est assurément de ton côté.

 
Wêchévains, DJAB, Juin 2008


L’amour avant que j’oublie, Lyonel trouillot, Éd. Actes Sud, 2007

 

 

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